La lettre d’intention : quelle portée juridique ?

Portée juridique d'une lettre d'intention

La rédaction d’une lettre d’intention est un moment charnière dans le processus de transmission d’une entreprise. Il arrive que malgré la signature de ce document par les deux parties, la vente n’aboutisse pas. Une partie souhaite en effet parfois ne plus conclure la vente envisagée. En a-t-elle le droit ? Ou la vente est-elle irrévocablement conclue dès lors que la lettre d’intention a été signée par le candidat-acquéreur et par le cédant ? Nous faisons le point sur la portée juridique de ce document.

Un principe : le consensualisme

Le système juridique de notre pays repose sur un principe : le consensualisme. C’est-à-dire que la conclusion d’un contrat ne requiert aucune forme particulière, c’est l’expression du consentement des parties qui implique la conclusion du contrat. Le contrat sera considéré conclu et la vente parfaite dès lors qu’il y a accord sur les éléments essentiels. Dans le domaine immobilier, le tribunal de 1ère instance de Gand a ainsi considéré en 2012 qu’un accord par sms sur le prix d’une maison entraînait la conclusion de la vente.

Les éléments essentiels

Quels sont les « éléments essentiels » dans le cas de la transmission d’une entreprise ?

Il y en a à coup sûr deux :

  • l’objet : tout ou partie des actions de la société
  • le prix (déterminé ou déterminable selon une formule)

Peut-il y en avoir d’autres ? Il y a certainement d’autres éléments que l’une ou l’autre des parties peut considérer comme essentiels. On pense entre autres à la durée et aux modalités de l’accompagnement du repreneur par la cédante, à l’étendue des garanties demandées au cédant, à un engagement de non-concurrence, aux modalités de paiement du prix, à la nécessité de réaliser un audit avant l’acquisition, …

La partie qui considère l’un ou l’autre de ces points comme essentiel serait en tout cas bien inspirée de l’indiquer explicitement. A défaut, un tribunal pourrait considérer la vente comme conclue dès lors qu’il y a accord sur la chose et le prix. Il fera alors appel à la loi pour combler les lacunes. Ceci n’offrirait à l’acheteur que très peu de protection. Le code civil ne prévoit par défaut aucune garantie d’actif et de passif, ni aucune obligation de non-concurrence.

Quelle est la portée juridique d'une lettre d'intention ?
Une lettre d’intention conclut-elle définitivement la cession d’une entreprise ? Parfois.

Une vente conclue dès que…

Un tribunal pourrait considérer comme conclue une vente d’entreprise dès lors que les conditions suivantes sont réunies :

  • L’acquéreuse a envoyé une offre au cédant, qui a marqué son accord (la forme de cet échange n’importe pas)
  • L’offre ne précise pas explicitement qu’elle est non-contraignante
  • L’offre ne contient pas de réserves (des éléments que l’offrante dit considérer comme essentiels et sur lesquels un accord reste à trouver)

L’acquéreur prudent évitera donc d’envoyer un e-mail ou un sms à la cédante demandant « Ok pour 450.000 € ? » sans autre détail car une réponse positive pourrait bien entraîner la formation du contrat.

Prudence

L’acquéreuse prudente sera particulièrement attentive aux points suivants :

  • Préciser explicitement si son offre est liante ou pas, de façon à ne pas laisser place à l’interprétation sur sa volonté
  • Mentionner tous les points qu’elle considère comme essentiels et préciser qu’un accord sur l’ensemble de ces points doit être trouvé
  • Indiquer les conditions suspensives (obtention des financements nécessaires, réalisation d’un audit vérifiant l’exactitude des informations sur lesquelles l’offre se fonde, …)

Le cédant veillera également à être particulièrement attentif à la portée juridique de ce qu’il signe : l’offre sur laquelle il marque son accord est-elle liante ou non ? Est-elle complète à ses yeux ? Si elle ne l’est pas, il veillera à assortir sa réponse de réserves en indiquant clairement les éléments qui sont essentiels à ses yeux et sur lesquels l’offre ne dit rien.

Obligation de négocier de bonne foi

Même dans le cas où les parties sont d’accord sur le caractère non-liant des discussions en cours, l’obligation de négocier de bonne foi s’impose à elles.

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. »

Article 1382 du Code Civil

Une partie peut causer un dommage à une autre notamment lorsqu’elle :

  • entame des négociations sans intention sérieuse de conclure un contrat ;
  • prolonge inutilement des négociations dont elle sait qu’elles ne pourront pas aboutir ;
  • rompt brutalement des négociations avancées, sans raison légitime.

Chacune des parties veillera donc à ne pas occasionner des frais inutiles à l’autre. Même si elles n’ont pas encore signé de contrat.

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Éléments à reprendre dans une lettre d’intention

Check-list d’une lettre d’intention

Pour terminer, voici une liste la plus complète possible des éléments qu’on peut inclure dans une lettre d’intention :

  1. Portée juridique : caractère (non)contraignant du document et de l’une ou l’autre de ses clauses
  2. Objet de l’opération : nombre des actions ou liste des actifs
  3. Prix offert : celui-ci peut être fixe ou déterminable par une formule
  4. Modalités de paiement du prix : en une ou plusieurs fois
  5. Accompagnement : durée, prestations, rémunération
  6. Engagement de non-concurrence et de non-débauchage du personnel par le cédant
  7. Exclusivité des négociations : si l’offre n’est pas liante, les parties souhaitent souvent s’accorder un certain délai pour tenter sereinement de conclure
  8. Conditions suspensives : réalisation des audits, obtention des financements, …
  9. Engagement du cédant de poursuivre la gestion normale et prudente de la société jusqu’à la cession, interdiction d’acquérir ou céder certains actifs sans l’accord du candidat-acquéreur
  10. Calendrier des opérations
  11. Durée de validité de l’offre
  12. Loi applicable et juridiction compétente